Oui, j’ai tué ma mère, il y a bien des années. Clytemnestre, la reine de Mycènes. Elle avait tout, je n’avais rien. Elle était l’épouse d’Agamemnon, le chef des Grecs. Elle était la fille de Tyndare, le roi de Sparte. Elle était la soeur d’Hélène, la plus belle femme du monde. Elle ne l’était pas moins. Elle avait un amant, Égisthe, notre cousin, qui avait eu l’intelligence de ne pas s’embarquer avec les autres pour aller crever devant Troie. Elle avait surtout la colère, la superbe, la noire colère, qui la galvanisait, qui lui permettait de dompter tous les hommes et de régner, contre le Conseil des Anciens, contre les usages, contre son sexe.
Elle a toujours soutenu que ce n’était pas pour son amant qu’elle a trucidé mon père à son retour de Troie.
Elle a toujours maintenu que c’était pour venger Iphigénie, ma soeur aînée, que les Grecs ont immolée sur l’autel d’Artémis pour obtenir bon vent. Cette mijaurée d’Iphigénie, toujours dans ses bras, « oui, Maman », « bien, Maman », « je t’aime, Maman », toujours à se faire câliner, caresser, embrasser. D’en parler, je retrouve sur mes lèvres et dans ma bouche la saveur amère de la haine.
Car moi, je suis faite d’un autre airain. Je suis de la race de Tantale, qui dînait à la table des dieux. Il en avait la beauté, le pouvoir, la richesse. Il ne lui manquait que l’immortalité et l’ambroisie qui la confère. Nous sommes pareils. Ne pas tout avoir, c’est ne rien avoir.
Notre tourment, cette faim que rien ne rassasie, cette soif que rien n’étanche, porte un nom exécrable : l’envie.