La plupart des hommes ne peut admettre que c’est moins le dégoût de la vie que l’attirance de la mort qui étreint certains êtres au terme de leur existence. On touche au port après une longue traversée.
Le suicide fut considéré jusqu’au milieu du vingtième siècle comme un péché mortel. Aujourd’hui, ce serait une marque d’individualisme condamnable et une maladie justifiant une mise en observation psychiatrique. Les médecins évoquent non plus le devoir mais le droit de soigner, même de façon coercitive. Dix-sept siècles de christianisme, depuis la défaite de Maxence au pont Melvius, ont jeté l’opprobre sur une pratique que les Romains admettaient et dans laquelle ils voyaient courage et vertu.
La vie est sortie de la mer il y a plus de trois cent millions d’années. Le foetus baigne pendant la gestation dans le liquide amniotique. Le mythe d’Aphrodite ne dit pas autre chose.
Nous fûmes surpris par une averse non loin de la Piazza Navona. Pour nous abriter, nous entrons au palais Altemps. Le musée est vide. À l’étage, nous découvrons le trône Ludovisi. Son panneau central montre la naissance d’Aphrodite assistée des Heures. La déesse du désir, de l’amour physique, de la violence de la vie. Elle n’est fille de personne, surgissant de la mer où Chronos le Titan a jeté le sexe d’Ouranos, le Ciel, tranché d’une serpe façonnée par Gaïa, la Terre. Mais les Heures sont déesses de l’Ordre, de la Justice et de la Paix.
Pourtant ce ne sont ni la vie ni la mort que la mer m’inspire. Plutôt : un monde minéral tendu vers la ligne indistincte de l’horizon, cette région invisible et lointaine. L’au-delà de la vie, de la mort et du temps.
Ce sont les dernières images de “Μια αιωνιότητα και μια μέρα, L’éternité et un jour”, le chef-d’oeuvre de Theo Angelopoulos. Un vieil écrivain tourne le dos à l’hôpital où il devrait entrer pour mourir et s’avance dans la mer et ses souvenirs.
