Le résultat désastreux du premier tour des élections législatives n’est pas surprenant : cela fait au moins 4 ans que j’estime qu’ E. Macron pavait la voie à Marine Le Pen. Mon analyse reposait sur les éléments suivants :
1. Le “front républicain”, le “cordon sanitaire” était de moins en moins opérant depuis une vingtaine d’années, en particulier depuis la présidence de N. Sarkozy. Une fraction significative des “Républicains” se distinguait de moins en moins, idéologiquement, du Rassemblement National, la version soft, “dédiabolisée”, du FN. Le ralliement de Ciotti au RN en est la preuve.
2. E. Macron incarne ce que Michel Foucault a décrit comme “le tyran grotesque” : narcissique, mégalomane, se pavanant à Chambord et Versailles, exerçant un pouvoir exécutif méprisant le législatif et servi par la Constitution bonapartiste de la Vème République, recourant continuellement à un langage martial souvent vulgaire, et gouvernant depuis deux ans, par l’intermédiaire d’E. Borne, à coups de décrets 49.3. Le pire : une posture belliciste, se proposant de fournir à l’Ukraine missiles, Mirages et instructeurs, traduisons des soldats, et risquant une extension du conflit plutôt que d’oeuvrer à sa résolution.
3. Les revendications des “gilets jaunes” ont été violemment réprimées par un appareil policier qui n’a rien à envier aux régimes totalitaires et l’épidémie de Covid a fourni l’occasion inespérée de tester toutes les mesures suspendant les libertés démocratiques: état d’urgence, confinement, limitation des déplacements, attestations “dérogatoires”. Les manifestations ont été étouffées et avec elles, la voix du peuple.
4. Sur le plan économique, l’inflation et le coût de la vie ont frappé durement une population précarisée voire prolétarisée. Or, le parti socialiste français, à la différence du PS belge, n’a plus depuis longtemps d’implantation populaire. Parti d’énarques, il ne connaît plus “l’odeur du peuple”. La présidence de F. Hollande a, à cet égard, été calamiteuse. Faut-il souligner que Macron vient du PS et que son mouvement, la République en marche, fut rejoint par nombre d’élus socialistes. Résultat : la quasi – disparition du PS lors de la dernière présidentielle (Hidalgo faisant un score de 2 %) mais surtout l’adhésion de la classe ouvrière au RN, car, ne l’oublions pas, les mouvements fascistes ont aussi une corde sociale, Mussolini en étant le parfait exemple.
5. Et c’est dans ce contexte que Macron, dans le singulier aveuglement de sa suffisance, a décidé une dissolution qui met le RN aux portes du pouvoir, trois ans avant une présidentielle qui aurait probablement vu la victoire de M. Le Pen.
Et la suite ?
Une majorité pour le RN. Absolue, et Bardella est à Matignon. Relative, et Ciotti est premier ministre. Brandissant le spectre de la guerre civile, la promulgation d’un nouvel état d’urgence ?
Nous n’attendrons pas…
» Personne ne veut croire que ce monde commence à mourir de sa vilaine mort, que sa condamnation est déjà décidée quelque part. Les Français encouragés par les derniers vestiges de leur prospérité, se tournent vers leur ancienne puissance et n’imaginent pas que la France puisse finir quand il y a eu Montaigne, Descartes, Voltaire, les campagnes de Loire, les cathédrales, les paysans, les vignerons et la cuisine des provinces. C’est encore un de ces malaises de croissance des siècles d’autrefois : il ne faut qu’un bon régime.
On rencontre bien ici ou là quelqu’un qui exprime sa peur : après tout la France peut mourir. Au moment où le seul passé garantit l’avenir, il arrive que certains comprennent que cette garantie est incertaine. Cette peur les étonne. Ils ne connaissaient pas la peur, ces gens dont les pères avaient gagné la Marne et préservé Verdun. Mais les Français sont moins solides qu’il y a cent ans lorsque leur puissance grandissait comme le jour. Il leur faut envisager le cas où la maladie comporterait la mort. Ils s’efforcent de croire que cette maladie n’est pas à l’intérieur d’eux-mêmes, n’est pas un mal engendré par leurs contradictions intimes. Ils feignent de croire que la cause du mal est externe et serait externe la maladie de l’Occident. Ainsi est renversée la vérité de l’histoire. Car la civilisation bourgeoise n’est pas malade parce qu’elle a des ennemis. Une civilisation étouffée par les contradictions qu’elle-même engendre, victime de ses propres poisons, a commencé à mourir et désigne comme ennemis tous ceux qui ne consentent pas à la suivre dans sa fin, ceux-là mêmes qui souffraient de sa puissance et qui n’avaient jamais partagé sa bonne santé »
« Aucune place n’est laissée à l’impartialité des clercs. Il ne reste que les combats de partisans. Le temps de la ruse est passé. Plus personne à tromper. Plus personne à séduire. Des coups à recevoir et des coups à porter. »
Extraits de « Les Chiens de garde », Paul Nizan, 1932.