Vieillir

« J’appris à Thales le premier de vos sages, que le vivre & le mourir estoit indifferent : par où, à celuy qui luy demanda, pourquoy donc il ne mouroit,
il répondit tres sagement, Pource qu’il est indifferent. »
Montaigne, Les Essais, Que Philosopher, c’est apprendre à mourir
Édition de Pierre Coste, Paris, 1725.


Mais il vient un jour où ce n’est plus indifférent.
On passe une ligne, comme ces voyageurs d’autrefois dont le navire franchissait le parallèle de l’équateur, bien avant les transhumances des touristes encaqués dans les vols longs courriers de Boeing ou d’Airbus.
Vivre devient pesant. On ne se fait plus d’llusion. L’âge est là. La distinction entre la vieillesse et la maladie s’estompe : le corps vous trahit, pièce par pièce, morceau par morceau, organe par organe. Tout vous devient difficile : se lever, cuisiner, manger, sortir, passer le fleuve, voyager, faire la queue, enregistrer des bagages. Prendre l’avion ou le train vous fait désormais horreur. Vous êtes las.
Vous vous détachez lentement du monde, de vos souvenirs, de votre famille, de vos amis, de vos tableaux, de vos livres. L’imbécillité des hommes cesse de vous importer. Elle ne suscite plus qu’un haussement d’épaule résigné. Seule demeure la tendresse pour ceux qui partagent vos jours : un être aimé, un chien ou un chat. C’est le dernier rempart.
Le vivre et le mourir ne sont plus indifférents.