Never again ?

L’historien Alex Dancyg est mort, otage du Hamas. Il était, macabre ironie, spécialiste de la Shoah.

Le Hamas, le Hezbollah, l’Iran veulent l’annihilation d’Israël. À cet égard, ils ne diffèrent aucunement du régime nazi et de sa solution finale. Le pogrom du 7 octobre 2023, par sa bestialité, était révélateur. La riposte d’Israël, quoi qu’on en dise, reste contenue. Quarante mille morts n’importent pas au Hamas, bien au contraire : ils servent à mobiliser l’antisémitisme toujours vivace de l’Occident. Les cris de haine poussés sur les campus américains, à Sciences Po-Paris, aux manifestations des “Insoumis” rappellent ceux de la foule parisienne assistant à la dégradation infamante du Capitaine Dreyfus. Les attaques dont le Gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro, est la cible, (“genocide Josh”), dans son propre parti, discréditent les démocrates. Plutôt Trump que cette engeance wokiste. Vladimir Jankelevitch avait vu juste : l’antisionisme, disait-il, est la trouvaille miraculeuse, celle qui permet d’être démocratiquement antisémite.

Mais Israël ne se laissera pas exterminer comme les juifs polonais, ukrainiens, roumains, lithuaniens. Les fanatiques islamistes feraient bien de réfléchir au “complexe de Masada”.

La paix semble plus éloignée que jamais. Les extrémistes suscitent les extrémistes. Le Hamas est le meilleur soutien de B. Netanyahu – et réciproquement. L’assassinat de Y. Rabin fut un drame dont le Moyen-Orient paie aujourd’hui les conséquences.

Après-coup…

La présidence de Jupiter, son mépris du peuple et de la démocratie, la répression policière violente des manifestations des gilets jaunes et l’occasion inespérée de mettre en oeuvre des mesures liberticides au nom de l’urgence sanitaire ont pavé une voie royale au Rassemblement National.

N’espérons pas que Macron tire les bonnes conclusions de ces folles élections. Sa vanité trouvera au contraire une profonde satisfaction à l’effondrement des pronostics du RN. Il s’en glorifiera comme si c’était sa victoire et son dessein, sans admettre que le front républicain décidé par le Nouveau Front Populaire en est seul responsable.

La seule réponse de Macron à l’inflation, au déficit budgétaire, à la paupérisation de la classe moyenne et du monde ouvrier a été la fuite en avant typique des « tyrans grotesques » analysés par Michel Foucault : la guerre. Son langage martial, ses attitudes, poings serrés, mâchoires crispées, ses rodomontades, sa mise en scène lamentable de boxeur, ses fastes à Chambord et Versailles évoquent de fâcheux précédents. L’utilisation politique des Jeux Olympiques éveille elle aussi de tristes résonnances.

Hélas, il est peu de voix qui soient capables de rassembler la nation sans que leur mégalomanie ne les aveugle. La manière dont Mélenchon a traité des Insoumis des débuts le discrédite : il est, lui aussi, réfractaire à toute forme de coalition gouvernementale. J’apprécierais Glucksmann s’il n’avait jugé opportun de s’afficher avec le maire de Kiev.

Le retour de François Hollande à l’Assemblée Nationale au sein du NFP est peut-être une solution de compromis digne d’attention…

O tempora, o mores…

Droits devant !

Aux armes, citoyens !

Le résultat désastreux du premier tour des élections législatives n’est pas surprenant : cela fait au moins 4 ans que j’estime qu’ E. Macron pavait la voie à Marine Le Pen. Mon analyse reposait sur les éléments suivants :

1. Le “front républicain”, le “cordon sanitaire” était de moins en moins opérant depuis une vingtaine d’années, en particulier depuis la présidence de N. Sarkozy. Une fraction significative des “Républicains” se distinguait de moins en moins, idéologiquement, du Rassemblement National, la version soft, “dédiabolisée”, du FN. Le ralliement de Ciotti au RN en est la preuve.

2. E. Macron incarne ce que Michel Foucault a décrit comme “le tyran grotesque” : narcissique, mégalomane, se pavanant à Chambord et Versailles, exerçant un pouvoir exécutif méprisant le législatif et servi par la Constitution bonapartiste de la Vème République, recourant continuellement à un langage martial souvent vulgaire, et gouvernant depuis deux ans, par l’intermédiaire d’E. Borne, à coups de décrets 49.3. Le pire : une posture belliciste, se proposant de fournir à l’Ukraine missiles, Mirages et instructeurs, traduisons des soldats, et risquant une extension du conflit plutôt que d’oeuvrer à sa résolution.

3. Les revendications des “gilets jaunes” ont été violemment réprimées par un appareil policier qui n’a rien à envier aux régimes totalitaires et l’épidémie de Covid a fourni l’occasion inespérée de tester toutes les mesures suspendant les libertés démocratiques: état d’urgence, confinement, limitation des déplacements, attestations “dérogatoires”. Les manifestations ont été étouffées et avec elles, la voix du peuple.

4. Sur le plan économique, l’inflation et le coût de la vie ont frappé durement une population précarisée voire prolétarisée. Or, le parti socialiste français, à la différence du PS belge, n’a plus depuis longtemps d’implantation populaire. Parti d’énarques, il ne connaît plus “l’odeur du peuple”. La présidence de F. Hollande a, à cet égard, été calamiteuse. Faut-il souligner que Macron vient du PS et que son mouvement, la République en marche, fut rejoint par nombre d’élus socialistes. Résultat : la quasi – disparition du PS lors de la dernière présidentielle (Hidalgo faisant un score de 2 %) mais surtout l’adhésion de la classe ouvrière au RN, car, ne l’oublions pas, les mouvements fascistes ont aussi une corde sociale, Mussolini en étant le parfait exemple.

5. Et c’est dans ce contexte que Macron, dans le singulier aveuglement de sa suffisance, a décidé une dissolution qui met le RN aux portes du pouvoir, trois ans avant une présidentielle qui aurait probablement vu la victoire de M. Le Pen.

Et la suite ?

Une majorité pour le RN. Absolue, et Bardella est à Matignon. Relative, et Ciotti est premier ministre. Brandissant le spectre de la guerre civile, la promulgation d’un nouvel état d’urgence ?

Nous n’attendrons pas…

Campagnes

La France bat la campagne…

La campagne est lancée. Le magazine du Monde livre un récit de la dissolution suggérée au Président par un quatuor de sycophantes retranché “au château”. Je découvre aussi ce matin que Mélenchon accepterait de ne pas être premier ministre ! Le degré d’infatuation de ces personnages est renversant. Par contre, il y a une excellente analyse dans le Monde : l’entretien accordé par le Pr Denis Baranger, professeur de droit public, constitutionnaliste. Le bon mot de Devedjian sur la dissolution décidée par Chirac m’a bien fait rire : dans un appartement où il y avait une fuite de gaz, Chirac a craqué une allumette pour y voir clair…

On retient donc son souffle, en se disant qu’au mieux, il n’y aura de majorité d’aucun camp, que la France sera ingouvernable comme la Belgique le fut il y a quelques années (près de deux ans sans gouvernement fédéral mais les Belges ne voyaient aucune différence !) et qu’Emmanuel Macron sera ainsi neutralisé dans ses velléités guerrières et son langage martial. “La grenade dégoupillée” qu’il se vante “d’avoir balancé dans les jambes” de ses adversaires pourrait bien exploser dans les siennes. Et si le RN et LFI me font également horreur, je crains tout autant que l’engagement militaire français en Ukraine n’exaspère le conflit. Serge Klarsfeld a annoncé que s’il devait choisir entre RN et France insoumise, il n’aurait pas d’hésitation : il voterait pour le Rassemblement national. Je n’ai quand même pas oublié que dans les manifestations du FN on brandissait le portrait de Pétain et qu’on y vendait l’Action française.

Et puis, il y a l’autre élection, plus lointaine mais tout aussi lourde de conséquences : Biden ou Trump ? Il est difficile de trancher, d’un point de vue strictement européen, et de prévoir quel est notre intérêt. Quand Trump fut élu en 2016, nous étions à Rome. Nous fûmes si abattus que nous allâmes nous promener le long des tombeaux de la Via Appia antiqua. Mais quatre ans plus tard, je suivis toute la nuit les résultats de la confrontation Biden/Trump et je suis convaincu qu’il y eut manipulation, probablement dans les deux sens, assez pour nourrir les soupçons de fraude. Biden est un belliciste et je déteste l’utilisation politicienne actuelle de la justice et ces procès truqués pour empêcher Trump d’être (ré)élu.

Coraggio Casimiro. C’est le déclin de l’empire. Mais les époques de décadence peuvent réserver les plaisirs rares d’arrière-saison et Louis XV avait-il tort de dire “ça durera bien autant que moi” ?

Rome, Via latina

Clytemnestre

« J’ai tout fait moi-même, sans trembler ni faiblir. J’ai tant attendu cette heure, je l’ai tant rêvée, j’y ai tant songé que tous les gestes m’en étaient familiers. Je l’ai pris dans mon voile et j’ai frappé, deux fois, et quand il est à terre, je lui donne le coup de hache qu’on réserve aux offrandes au Seigneur des morts. »

 « Agamemnon est mort et c’est mon oeuvre et je n’entends pas qu’on me la vole. Égisthe n’y est pour rien parce que ce n’est pas pour lui que j’ai tué Agamemnon ni même pour moi, mais pour Iphigénie, mon enfant, pour elle et pour toutes les femmes que les hommes tuent et mutilent et bâillonnent, comme il l’a égorgée et bâillonnée sur l’autel. »

Je publie aujourd’hui sur Blurb une réédition de ma Clytemnestre, le drame des Atrides, illustrée de photographies prises à Athènes, Delphes, Délos, Éphèse…

Elle n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, hélas.

Allons z’enfants…

Voilà six ans, un internaute liégeois avait publié sur FaceBook “qu’Emmanuel Macron est à la politique ce que Mozart est à la musique.” J’avais alors jugé que s’il existait un Prix Nobel de la bêtise, l’auteur de cette sentence aurait certainement mérité d’en être le lauréat. J’avais aussitôt été accusé d’être passé “au côté noir de la force.”

Six ans plus tard, la musique présidentielle a des accents non de Mozart mais de grosse caisse mi-foraine, mi-militaire. Pour la remercier d’avoir le record absolu de 49.3 de la Vème république, Élisabeth Borne s’est fait démissionner (après qu’on lui ait proposé le ministère des Armées) et nous héritons d’un premier ministre tout mignon, “soldat fidèle “, “aux avant-postes”, prêt à oeuvrer “au réarmement de la France”, en imposant aux lycéens un uniforme et en entonnant le chant national propre – qui oserait en douter – à restaurer les valeurs républicaines d’une éducation nationale déliquescente. Le jour de gloire est arrivé et qu’un sang impur abreuve nos sillons… C’est à pleurer de rire sinon à pleurer tout court.

Mais la farce ne s’arrête pas là. Sitôt nommé, le nouveau patron du Quai d’Orsay s’est envolé pour Kiev, préparant le voyage de son maître, qui promet à l’Ukraine des missiles Scalp à longue portée, dont l’effet immédiat sera de rendre plus incertaine et plus lointaine la fin de ce conflit où Putin nous rejoue “la grande guerre patriotique” et Biden “la guerre froide” version Hoover-MacCarthy. Il est triste qu’on en soit réduit à souhaiter la victoire de Donald Trump pour sortir enfin de cette guerre sans vainqueur ni vaincu.

Mais tout va bien, Paris devient invivable sous la férule d’Hidalgo, dans l’attente de Jeux Olympiques qui confineront les Parisiens mieux que le Covid. Hélas, s’il est possible de se vacciner contre les souches virales répertoriées, il n’en va pas de même contre les initiatives aberrantes d’une municipalité bien décidée à rendre impossible la circulation automobile par des sens interdits aléatoires et irrationnels. Prenez le vélo, même octogénaire ou invalide. Non, je vous assure, tout va bien, Rachida Dati pourrait, ô surprise, nous réveiller de ce cauchemar.

Une mort très douce

Ira est passé à l’Orient éternel. 

Depuis quelques semaines, il maigrissait, ne mangeait plus, vomissait le peu qu’il absorbait encore. Le diagnostic n’était pas douteux. 

Il s’en est allé doucement, dans mes bras. Un cathéter, une première injection de ketamine, puis, une fois anesthésié, une seconde injection de barbiturique, et ce fut tout. 

Et je reste là, avec le vide de son absence et mes souvenirs. Nous ne nous reverrons pas.

Lorsque je jugerai mon heure venue, j’espère trouver à mon tour l’assistance nécessaire. 

C’est tellement simple.

Lire

Vers dix ans, je me fis confisquer “Les trois mousquetaires” et “Les aventures de Thil Ulenspiegel”. “Ce n’est pas de ton âge”. Je pris l’habitude de lire en cachette, au coeur de la nuit, avec une lampe de poche, dans l’horreur de toute forme de censure. J’exécrais l’Index des livres interdits et les autodafés qui, d’Alexandrie à Ctésiphon, de Séville à Mexico, illustrent l’histoire du christianisme et de l’islam.
Lire, c’est quitter le monde où nous vivons pour entrer dans un autre univers. Changer d’espace, remonter le temps. Échapper au quotidien, fuir les importuns et les réseaux sociaux. Parcourir avec Balzac les rues du Paris d’avant Haussman, avec Dickens les bas-quartiers de Londres, avec Zola les corons des charbonnages, avec Melville les mers du Sud… Lire, c’est “la vie, mode d’emploi”. Ouvrir le livre est peut-être le moment le plus intense de la lecture. Comme celui, dans la chambre noire, où l’image, encore indistincte, apparaît dans le révélateur. Tout est encore virtuel. Tous les textes sont possibles. Le livre est tout en mon pouvoir sans que j’aie disposé de lui.
Aussi, la première phrase du livre laisse souvent pressentir le bonheur espéré. “Call me Ishmaël”… “J’appartiens à l’une des plus vieilles familles d’Orsenna”… “Dans le vieux pays , ils racontaient, ils aimaient raconter, oui, là-bas, c’est cette histoire qu’ils racontaient…”
C’est une aventure individuelle. Que ce soit dans la solitude d’une chambre ou dans un lieu public, peu importe. Ce qui vous entoure disparaît. Lire est du domaine de l’intime. Lire est par essence a-social.
Aussi la lecture entretient-elle un rapport consubstantiel à la liberté. Non point seulement dans la nature du texte lu mais aussi, mais d’abord, dans l’acte même de lire. Ouvrir un livre, c’est dire : je m’en vais, je m’efface, je suis ailleurs, ne me dérangez pas, ne me parlez pas. Vous ne pouvez me suivre. Noli me tangere…
Les dictateurs ne s’y trompent pas. Point de livres dans les camps de concentration, dans les goulags, dans les prisons où s’entassent les victimes des tyrans et de leurs bourreaux. Point de livres ni d’intimité.

La bibliothèque de Freud, Maresfield Gardens, Londres

Pour l’amour de Freud

Elle a gravi l’escalier de pierre. Au palier, elle a pris la porte de droite. Elle est entrée dans la salle d’attente. Elle y a reconnu les photographies d’Havelock Ellis et de Hanns Sachs. C’est ce dernier qui l’adresse au Professeur. Il lui a parlé de sa famille, de sa façon de vivre.

La porte du cabinet s’ouvre. Freud ne parle pas. Elle entre sans le voir comme une automate. Son regard fait le tour de la pièce, se pose sur les vitrines, les étagères, détaille les objets. Elle n’était pas prévenue. Elle éprouve l’impression d’être dans un temple. Elle pense : “C’est le Vieil Homme de la mer et voilà les trésors qu’il a ramenés des profondeurs marines.”

Freud parle enfin. Il lui dit : “Vous êtes la première personne à regarder les objets plutôt que de me regarder, moi.”

Elle ne répond pas. Elle regarde une petite lionne au pelage d’or qui vient vers elle sur le tapis. Peut-être était-elle cachée derière le divan ? Freud l’avertit : “Ne la touchez pas, elle mord, elle n’est pas commode avec les étrangers.” Elle ignore l’avertissement. Elle s’accroupit sur le parquet. Yofi, la chow-chow, pose son museau dans sa main, blottit sa tête au creux de son épaule.

D’après H. D. (Hilda Doolittle), “Pour l’amour de Freud”, Des femmes / Antoinette Fouque, 2010.

Amphore à figures noires, Attique, 5ème siècle BC. Collection de Freud, Maresfield Gardens, Londres.

Jusqu’où va-t’on trop loin ?

« Nemo enim est tam senex qui se annum non putet posse vivere », Personne n’est si vieux qu’il ne pense pouvoir encore vivre une année… C’est ce qu’écrit Cicéron à Atticus dans son traité sur la vieillesse.

Jusqu’où va-t’on trop loin ?

Lün, le dernier chow-chow, ne s’approchait plus du maître qu’elle aimait. L’odeur dégagée par la putréfaction des tissus dévorés par le carcinome et la radiothérapie rebutait la chienne qui allait se blottir dans le coin le plus reculé de la pièce. Le lit fut dressé au rez-de-chaussée, dans la pièce où il avait reçu des analysants jusqu’en juillet. On  l’entoura d’une moustiquaire pour préserver Freud des insectes attirés par la gangrène. 

Il était temps de partir. 

Le 21 septembre, il demanda à son médecin, Max Schur, de mettre un terme à une torture qui n’avait plus de sens. Schur commença les injections de morphine. Freud s’éteignit dans la nuit du 22 au 23 septembre. Anna et Lux l’avaient veillé sans interruption pendant quarante heures.

Le dernier livre que lut Freud fut “La peau de Chagrin”.

L’Allemagne avait envahi la Pologne le 1er septembre.

Maresfield Gardens, Londres

Extrait de « Chemins croisés », tome III, travail en cours.