J’étais Électre, princesse de Mycènes. La fille d’Agamemnon, le roi des rois, le fléau de Troie. Nous descendons d’Atrée, qui descend de Tantale. Ces noms ne vous disent rien ? C’est aussi bien. Ils ne méritent pas d’être sauvés de l’oubli. Mais à vingt ans, j’étais fière de ces demi-dieux et de leurs traits monstrueux.
J’ai grandi dans cette terre aride, brûlée de soleil, aveuglée de lumière. J’étais à son image, sauvage, violente, intraitable. Tout le contraire de mes soeurs ou d’Hermione, notre cousine, qui vivait avec nous depuis que sa mère, Hélène, avait tout plaqué pour suivre à Troie son amant. Le palais était accroché au rocher, surplombant une vaste plaine. Ses murs avaient été élevés, disait-on, par les fils de l’Ébranleur du sol. J’aimais les énormes blocs de pierre, le contact rugueux de la roche, y appuyer le front, y sécher mes larmes. J’aimais les lionnes qui gardent la porte. Rien n’est humain à Mycènes. Tout y respire le drame.
Mon oncle Ménélas a trouvé son palais vide. Il s’est muré dans le silence et la honte. Il pleure sur les femmes infidèles. Sur sa mère, sur son épouse. Son frère Agamemnon parcourt la Grèce. Il lève des armées. Il débusque Achille, il démasque Ulysse. Mon enfance ne bruit que d’un mot d’ordre : vengeance.
Ces jours sont loin de moi. J’y reviens sans cesse. Je cherche à leur donner un sens, à leur trouver une cohérence. Des détails insignifiants reviennent parfois m’obséder pour une heure, pour une journée, pour une nuit. Je revois des visages et je ne mets pas toujours de nom sur leurs traits. Des pans entiers de mon passé sont tombés dans l’oubli, sans plus de consistance que les bribes d’un rêve, mais Mycènes reste intacte, citadelle imprenable dans les ruines de ma vie.